Marché du carbone et progrès économique

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L’expérience et la pratique sont deux domaines des sciences distincts, mais qui doivent fonctionner ensemble. L’observation fournit les bases à la théorie, et la théorie se confirme par l’expérience. Il arrive aussi, face à des théories robustes, que cette dernière ouvre la porte de découvertes expérimentales.  Ainsi la théorie a permis de déceler l’existence probable de la huitième planète Neptune, sur les constatations d’irrégularitées théoriques puis l’observation par Le Verrier de Neptune en 1846. Le progrès scientifique s’est ainsi fait par une alternance d’avancées expérimentales et théoriques, les deux jambes de la science qui articule son mouvement vers l’avant.
Ce lien entre expérimentation et théorie, en économie, est plus ténu et moins évident.
 
Nous allons voir effectivement que pour la taxe carbone, mais si l’objectif initial est bien d’internaliser un coût social (théorème de Coase), la mise en œuvre et son expérimentation se révèle être plus complexe.
Quelles sont les marges de manœuvre accordées aux modèles ?
R. Coasse, avec son théorème éponyme, propose d’établir un marché pour traiter du problème d’externalité:
  • si les coûts de transaction sont nuls et si les droits de propriété sont bien définis, des individus impliqués dans une externalité négocieront de façon à obtenir une allocation efficace des ressources
  • l’affectation des ressources sera identique quelle que soit la répartition des droits de propriété.
Cela suppose deux éléments:
  • définir correctement les droits de propriétés,
  • inclure les parties impliqués dans ces externalités.

Dans le cadre du marché carbone, et pour rendre la chose faisable, les autorités ont ainsi définit:

  • un marché, entre pollueurs,
  • un prix de base, décorrélé de toute externalité.

Pourquoi un marché uniquement entre pollueur ?
Principalement pour circoncir le problème avec application naïve de la loi de Pareto: nous résolvons 80% du problème avec 20% des acteurs. Cette simplification a néanmoins un impact sur la détermination du prix. En effet, le théorème de Coase précise qu’il doit exister un effet entre 2 acteurs pour que l’externalité soit internalisable par l’intermédiaire d’un marché. Or il n’existe aucune externalité entre deux entreprises pollueuses. Néanmoins ces deux entreprises peuvent être intéressées à diminuer leurs émissions carbone, pour être plus compétitive et performante. Dans ce cas, l’inducteur de prix, pour la tonne carbone, n’est pas la valeur de l’externalité, mais les investissements et efforts cumulés pour réduire l’empreinte carbone dans un secteur. Ainsi, si l’ensemble de l’industrie automobile ne décide de faire aucun investissement, il est probable que le prix reste à un niveau bas. Dans le cas contraire, si un des acteurs investit dans un véhicule propre, pour tirer des bénéfices de la non-émission de gaz à effet de serre, il peut imposer un prix plus élevé de la tonne carbone, se créer un avantage concurrentiel, et ainsi inciter les autres acteurs à investir.
Ainsi, ce marché du carbone n’est pas réellement une application du théorème de Coase, mais plutôt la mise en place d’une contrainte financière pour stimuler l’innovation.

La mise en place stricte du théorème Coasse est impossible pour les raisons suivante:

  • la notion de propriété n’est pas clair et fait intervenir des acteurs qui ne sont peut être pas né à l’heure où vous lisez cet article: en toute rigueur, il faudrait, dans le cadre de l’externalité « réchauffement climatique », inclure les générations futures qui très probablement verront leurs niveaux de vie décroitre (pression sur ressources alimentaires, décroissance économique, sensibilité accrue face à certaines maladies, …)
  • le monitoring et le suivi des coûts est complexe: en effet nous savons évaluer des externalités dans un horizon de temps proche, sur lequel nous maîtrisons les facteurs. Pour le réchauffement climatique, la complexité réside dans l’évaluation d’impacts intriqués, sur du long terme, sur lequel nous ne pouvons pas évaluer les rétroactions possibles (à priori assez pessimiste). Cette succession d’impacts, en chaîne, sur des horizon de temps long, nous empêche d’avoir une vision claire de la valeur de l’externalité climatique.

Alors pourquoi inclure l’externalité climatique dans la balance des externalités et comment la suivre dans le temps ?
Aujourd’hui la seule valeur existante et crédible est celle donnée par le marché du carbone. Cette valeur possède tous les défauts du monde, mais permet de connaître la valeur de la tonne carbone dans le système économique actuel (système encore très peu adapté à cette nouvelle contrainte). Il est à espérer que cette valeur de la tonne carbone croisse dans le temps, à mesure que les investissements se feront pour réduire l’empreinte carbone. Par ailleurs d’autres éléments viendront influer sa valeur: pression sociale pour une valeur de la tonne de carbone plus juste, découverte et améliorations des modèles climatiques, …
En intégrant dès maintenant la tonne carbone dans la balance des externalités, nous anticipons ainsi un progrès qui se fera. Nous intégrons, compte-tenu des connaissances actuelles, le coût social de nos émissions. Enfin nous nous réservons le droit de corriger les impacts.

Cette méthode révèle deux avantages.
Le premier est une application du principe de précaution, sur les mesures mais aussi sur les impacts à venir.
La seconde consiste à préparer un socle expérimental, pour infirmer ou confirmer les hypothèses, les modèles d’évolutions que nous pourrions être amenés à faire. La balance des externalités devient donc l’un des premiers modèles long terme à appliquer à l’économie. La balance des externalités peut devenir l’une des métriques, économique, pour améliorer les modèles, et comprendre mieux la notion de progrès.

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