En science, il existe souvent un décalage temporel entre perception, théorie et expérimentation. Le paradoxe EPR, formulé entre autres par Einstein, en 1935, mettait en évidence une apparente incohérence entre un des résultats de la mécanique quantique, et le principe de causalité relativiste. En 1965, Bell grâce à ses inégalités ouvre la voie à une expérimentation permettant de valider (ou d’invalider). Ceci débouche enfin, en 1981, par l’expérimentation d’Alain Aspect validant l’absence de variable cachée dans la théorie quantique. Il s’est donc passé 46 ans entre la perception et la validation expérimentale d’une théorie. Ainsi le progrès se mesure sur la base de deux inducteurs: le temps et l’action.
Dans le domaine de la prédiction des risques ceci est particulièrement vrai. Mais contrairement à la physique, ou le décalage entre perception, théorie et expérimentation est, en général, dû à un décalage entre pensée et technologie, le décalage constaté dans la mesure des risques est inhérent.
Voyons les impacts pour la balance des externalités.
En comptabilité, il est possible d’enregistrer deux types de transactions: les transactions ayant eu lieu et concrétisées par une pièce comptable, et un fait passé, ou des provisions, qui concernent des événements passés, mais dont l’échéance ou le montant ne sont pas fixes. Cela tombe bien: beaucoup d’externalités s’engagent avant même que l’on ait pu définir la date ou l’impact précis de celle-ci.
Elles reflètent des charges probables qu’il convient de rattacher à l’exercice comptable au cours duquel elles sont apparues afin de dégager un résultat aussi fidèle que possible (principe de prudence). Les provisions représentent une perte ou un gain probable non définitif, mais dont l’estimation est possible
Elles doivent être évaluées en fonction des informations disponibles, et peuvent en conséquence évoluer jusqu’à la constatation des faits: le temps agit sur la valeur.
Dans le cas de la mesure des externalités, l’on cherche à mesurer avec anticipation des effets externes et indirects.
La ou la mesure des provision concernent des impacts (coûts) privés de l’entreprise, la balance des externalités repose sur des coûts sociaux, et effets externes:
Il existe donc quatre différences majeures entre une externalité future et une provision:
Cette volatilité induite par les réévaluations, découvertes est une première barrière à l’internalisation, et donc une première raison pour prendre ses distances avec le concept de provision lorsque l’on parle d’externalités. Nous ne détaillerons pas plus ce point que nous aurons l’occasion de développer plus en détail dans un prochain chapitre. Néanmoins cela permet de mettre en évidence la non miscibilité du concept d’externalité dans les état financiers standards tel que le bilan et ce pour une raison: l’effet du temps sur la valeur.
Contrairement à l’événement comptable qui lui est fixe, repérable dans le temps, les coûts sociaux peuvent évoluer à mesure que les connaissances progressent, et que les innovations permettent de résorber des effets passés.
Pour illustrer le propos, prenons le marché du carbone qui s’applique sur des droits d’émission échangés entre les entreprises. Supposons que l’inducteur de prix sur ce marché soit uniquement l’externalité d’une tonne de carbone (pas le cas, comme décrit dans précédent article, mais hypothèse simplificatrice dans le cadre de l’exemple).
Supposons sur cette base qu’il peut y avoir deux événements possible:
Concernant l’évolution des connaissances, ceci peut être la découverte d’une boucle de rétroaction dans le cycle du CO2, ou bien dans la dynamique des courants marins qui régulent notre climat. Imaginons que ces découvertes viennent augmenter les externalités à venir. Que se passe-t-il pour les quantités de CO2 passées rejetées par l’entreprise ?
Le cycle du carbone étant long, il est fort probable que ce dioxyde de carbone soit encore présent dans l’atmosphère. Il est donc nécessaire de réévaluer, sur la base des rejets passés, de réévaluer l’externalité résultante.
Concernant les innovations, nous pouvons aussi envisager des innovations qui permettent de piéger le dioxyde de carbone avec un coût social inférieur au coût social des conséquences du réchauffement climatique (peut probables pour des raisons énergétiques et de dissémination du CO2 dans l’atmosphère). Dès lors, le coût de mise en œuvre de l’innovation vient substituer, le coût social des impacts du réchauffement climatique. Encore une fois, la durée de vie du dioxyde de carbone dans l’atmosphère étant très longue, il est fort probable que celui-ci soit encore dans l’atmosphère, et par conséquent que le coût social baisse et soit dans l’absolu une superposition des effets réels et du coût de mise en œuvre de l’innovation.
Dans les deux cas, il faut donc pouvoir évaluer les coûts sociaux sur la base des connaissances accumulées sur le sujet. Ces évolutions ne sont pas du fait de l’entreprise, mais des organismes publics en charge de l’évaluation des coûts sociaux et ne remettent pas en cause l’éthique de l’entreprise (comme cela pourrait être le cas pour une provision). Enfin, cela nécessite de toujours garder les bases de calcul des coûts sociaux (volume), pour pouvoir évaluer les conséquences au gré de l’avancement des connaissances. La ou la provision est en général confirmé par décision de justice, l’externalité peut l’être par la science et le progrès: des systèmes plus inertes et beaucoup moins prévisible que la justice.
Néanmoins la science est à priori beaucoup moins réfutable. Il faut donc pouvoir intégrer les effets futurs qui n’auraient pas été comptabilisés dans les faits générateurs passés: une constante réévaluation.
Cette constante réévaluation n’est pas en contradiction avec la comptabilité, qui, via le principe de juste valeur, préconise la ré-évaluation des actifs par leurs valeurs de marché, marché qui fixe son prix en fonction des connaissances qu’il possède.
Une prédiction certaine repose sur un savoir absolu qui n’existe pas. Néanmoins il progresse. Ces progrès doivent ainsi être intégrés au fil du temps dans la balance des externalités. Heisenberg, l’un des père de la physique quantique et de son principe d’incertitude résumait ainsi: « Même pour le physicien, la description en langage clair sera un critère du degré de compréhension atteint. ». Une manière plus simple serait de dire que seul le temps mélé à l’action permet de progréssé.
L’autre maxime pourrait être « Le temps est sage, il révèle tout » (Thales)